CANADA - Réalités socio-économiques

CANADA - Réalités socio-économiques
CANADA - Réalités socio-économiques

Le Canada est un immense pays nordique, le plus vaste d’Amérique. Il est non seulement riche en espace mais aussi en ressources naturelles et, paradoxalement, il est très peu peuplé: c’est le plus grand pays le moins peuplé du monde. Son trait géographique le plus marquant demeure cependant le fait qu’il soit voisin de l’une des plus grandes puissances mondiales, les États-Unis d’Amérique.

Le Canada apparaît comme un pays jeune à bien des égards. Si son peuplement d’origine européenne remonte au début du XVIIe siècle, son organisation spatiale et politique ainsi que son accession à l’indépendance restent relativement récentes. L’État fédéral, constitué en 1867, n’obtient la souveraineté internationale qu’en 1931 et ne rapatriera sa Constitution qu’en 1982. L’espace habitable se trouve encore incomplètement occupé et mis en valeur malgré une forte immigration. Par ailleurs, l’histoire canadienne, tissée de conflits ethniques, de rivalités provinciales et d’influences étrangères, montre bien que le pays est imparfaitement intégré et manque encore d’unité, sinon d’union nationale.

Les réalités géographiques y sont nourries de contrastes. Le Canada s’étend vers le nord mais c’est le Sud qui est peuplé. Minuscule à l’échelle canadienne, son œkoumène a exigé des infrastructures démesurément développées. Son entité géopolitique s’est formée à l’encontre des orientations physiographiques. Son aménagement doit concilier l’abondance et l’éloignement des richesses avec la faiblesse de la population. La notion de distance entre dans l’essence même du Canada. Malgré tout, le pays s’est doté d’une économie enviable.

Profitant d’un milieu bilingue et multiculturel, la littérature et les arts reflètent la difficile expérience canadienne. L’immensité, la forêt, le froid ainsi que le choc des langues et des cultures offrent de nombreuses sources d’inspiration. La vie culturelle traduit les mille facettes d’un pluralisme que le Canada respecte, dans une société en quête d’identité.

1. Population

Si le Canada est le deuxième pays au monde par la superficie, il n’occupe que le trente et unième rang quant à la population. Très inégalement répartis sur la surface du pays, les Canadiens se singularisent par de nombreux caractères démographiques spécifiques.

Répartition

Globalement, la grande majorité des habitants est concentrée dans une sorte de corridor plus ou moins continu qui longe la frontière avec les États-Unis. Mais plus de trois Canadiens sur cinq sont citoyens des deux provinces de l’Ontario et du Québec. Toutefois, par rapport aux données du recensement de 1961, les chiffres de 1991 révèlent que les fluctuations relatives à chaque province sont considérables (tabl. 1). La répartition de la population canadienne est en constante évolution, et cela va de pair avec le dynamisme que connaît l’économie du pays. Au début du XXe siècle, les provinces de l’Atlantique rassemblaient 17 p. 100 de la population; au début des années 1990, ce taux est légèrement inférieur à 10 p. 100. À l’opposé géographiquement, la Colombie britannique est passée de 3 à 11 p. 100 dans le même intervalle, alors que Québec et Ontario réunis ont connu un relatif déclin (72 p. 100 des Canadiens en 1901, 62 p. 100 en 1991).

Durant l’épisode de la conquête de l’Ouest, la mutation la plus sensible a affecté les provinces des Prairies qui regroupaient seulement 8 p. 100 de la population au début du siècle; l’Alberta, le Manitoba et la Saskatchewan en rassemblent actuellement plus de 18 p. 100.

La répartition de la population canadienne est très fortement marquée par l’urbanisation et la constitution des régions métropolitaines. Au milieu du XIXe siècle, on estime qu’à peu près 13 p. 100 des habitants étaient concentrés dans des régions urbaines. Depuis, bien que le nombre des ruraux n’ait véritablement commencé à décliner qu’à partir du milieu du XXe siècle, le taux d’urbanisation du Canada a connu une croissance régulière, l’évolution connaissant, à l’évidence, un rythme bien différent d’une province à l’autre. Dès la fin de la Première Guerre mondiale, la Colombie britannique, l’Ontario et le Québec dépassaient les 50 p. 100 de population urbaine. En revanche, la Nouvelle-Écosse n’a atteint ce seuil qu’en 1941, le Manitoba en 1951, Terre-Neuve et l’Alberta en 1961, la Saskatchewan en 1971. Seule l’île du Prince-Édouard possède encore aujourd’hui une majorité de population rurale (61 p. 100). Actuellement, de considérables différences existent d’une province à l’autre quant au taux de population urbaine; Québec, Colombie britannique et Ontario ont franchi récemment le seuil des 80 p. 100. Dans les Prairies, alors que le Manitoba et l’Alberta ont largement dépassé 70 p. 100, la Saskatchewan frôle les 60 p. 100. Pour mieux appréhender la dichotomie entre population urbaine et population rurale, les statistiques utilisent la notion de région métropolitaine de recensement (R.M.R.), désignant la «principale zone du marché du travail d’une région urbaine comptant un minimum de 100 000 habitants». Suivant cette définition, la population des dix plus grandes R.M.R. s’élève à 13 009 800 habitants, soit 7,1 p. 100 de plus qu’en 1986 (tabl. 2 et fig. 1).

Au début des années 1990, un habitant sur deux au Canada (exactement 48,9 p. 100) vit dans les dix plus grandes aires urbanisées, et de profondes différences quant à l’évolution récente de ces dix R.M.R. peuvent être enregistrées. Se confirme un relatif tassement des «vieilles» agglomérations (Québec, Montréal), alors que Toronto entraîne dans son sillage les deux grandes nébuleuses urbaines sud-ontariennes (Hamilton et London) et que Vancouver occupe, de loin, la première place au palmarès. Par rapport à ses concurrentes Edmonton et Winnipeg, Calgary ne doit pas exagérément faire illusion si l’on tient compte de l’effet des jeux Olympiques dont les prochains dénombrements diront s’il est éphémère ou durable.

Évolution

La croissance démographique actuelle du Canada est due, pour à peu près deux tiers, à l’accroissement naturel (tabl. 3). Son taux moyen annuel (7,2 p. 1 000), bien que figurant dans le peloton de tête pour les pays industrialisés, est pourtant le plus faible que le pays ait jamais connu. Le taux de natalité lui-même (14,3 p. 1 000 au début des années 1990) ne cesse de diminuer, et l’on est conscient que le maintien d’une pareille situation ainsi que du niveau présent de l’immigration occasionneraient une dépopulation au cours de la première moitié du XXIe siècle. Alors que le taux de mortalité se stabilise à 7,1 p. 1 000, l’espérance de vie progresse, atteignant soixante-treize ans pour les hommes et quatre-vingts ans pour les femmes.

L’immigration a toujours joué un rôle essentiel dans l’accroissement de la population du Canada. Aujourd’hui, les immigrants représentent 15,6 p. 100 de la population fédérale. Mais cette immigration a constamment obéi à des cycles et a toujours été plus ou moins dépendante de la vie économique (fig. 2). Les périodes de prospérité ont, tout naturellement, correspondu aux années d’arrivée des groupes les plus nombreux. Cependant, le ralentissement qui affecte la conjoncture mondiale depuis le milieu des années 1980 a amené le gouvernement du Canada à restreindre à moins de 100 000 le nombre annuel d’immigrants, dans un premier temps. Mais, depuis le creux de 1984 (88 239 admis), un renversement de tendance s’observe, et, déjà en 1989, le nombre des immigrants atteignait 191 886 personnes. Traditionnellement, la majorité de la population immigrante venait d’Europe, principalement de Grande-Bretagne. Depuis une quinzaine d’années s’observe une diversification des provenances des personnes qui désirent s’établir au Canada. La progression des immigrants asiatiques est remarquable: ils comptent pour 49,7 p. 100 dans le nombre des entrées en 1989. Un immigrant asiatique sur cinq vient de Hong Kong, 12 p. 100 des Philippines et un peu moins de 10 p. 100 du Vietnam.

Plus de la moitié de la population immigrée habite en Ontario, province où les immigrants représentent à peu près le quart des habitants. On retrouve la même proportion en Colombie britannique. Actuellement, plus de la moitié de la population immigrée vit dans les R.M.R. de Toronto, Montréal et Vancouver (fig. 3).

Caractéristiques de la population canadienne

La structure par âges de la population évolue au Canada de façon sensible à la suite d’une variation considérable des taux de natalité durant les dernières décennies: l’explosion démographique qui a prévalu durant les années 1950 et le début des années 1960 a été suivie par un effondrement sans précédent jusqu’au milieu de la décennie 1970-1980, le phénomène s’accompagnant d’une progression remarquable de l’espérance de vie. Le résultat est que, si le Canada demeure un pays jeune, on peut aussi constater qu’il vieillit assez rapidement (fig. 4). Durant la période 1961-1991, la part des personnes âgées de moins de dix-huit ans est passée de 39 à 25 p. 100 alors que celle des «citoyens de l’âge d’or» (65 ans et plus) a évolué de 8 à 11 p. 100. Ce dernier groupe d’âge a progressé plus que tous les autres dans les années 1980, et ce taux de croissance est d’autant moins susceptible de se tasser que les spécialistes prévoient qu’en 2011 la proportion des jeunes ne sera plus que de 20 p. 100. Parallèlement, on assiste à une évolution au niveau des familles, qui comptent de moins en moins de membres: de 1961 à 1991, le nombre moyen de personnes par famille a décliné de 3,9 à 3,1.

La mosaïque ethno-linguistique canadienne

Depuis longtemps, le Canada est un pays d’immigrants. Au début du XVIe siècle, la fondation de l’«abitation» de Québec par Samuel de Champlain illustre les prémices de l’établissement d’éléments étrangers dans le Nouveau Monde. Ensuite, durant près d’un siècle et demi, c’est de France que parviendront les colons. Cependant, une mutation s’amorce dès lors que se produit un afflux d’immigrants originaires du Royaume-Uni (Anglais, Écossais, Irlandais), qui proviennent soit des États-Unis («loyalistes»), soit directement d’Europe occidentale. On a vu comment au XXe siècle se diversifie l’origine des nouveaux arrivants. Au dernier recensement de la population, trois Canadiens sur quatre ont déclaré une seule origine ethnique, et, parmi ceux-ci, un tiers est d’origine française, tandis que près de deux sur cinq sont de souche britannique.

L’originalité principale au sein de la mosaïque ethno-culturelle réside dans la présence de trois catégories d’autochtones: Indiens, Inuit et Métis. Elles se subdivisent en six périmètres culturels: arctique, côte nord-ouest, grandes plaines, plateau, nord-est et subarctique. Les onze principaux groupes linguistiques sont l’algonquin, l’athapascan, l’esquimau-aléoute, l’haïda, l’iroquois, le kutenai, le sioux, le salish, le tlingit, le tainshian et le wakash. En 1991, les autochtones regroupent 711 725 personnes, soit 2,67 p. 100 de la population totale du Canada. La grande majorité vit dans les provinces de l’Ouest et dans les immensités territoriennes (Yukon, T.N.O.). Dans les Territoires du Nord-Ouest, 59 p. 100 des personnes recensées ont déclaré une origine autochtone; cette proportion s’abaisse à 21 p. 100 au Yukon, tandis qu’elle n’est plus que de 8 p. 100 au Manitoba et dans la Saskatchewan.

Les Indiens d’Amérique du Nord étaient approximativement 220 000 au Canada avant l’arrivée des Européens. Lorsqu’est fondée la Confédération, en 1867, on estime leur nombre à 125 000. On attribue cette diminution très sensible à de multiples facteurs, entre autres l’introduction de maladies européennes (scarlatine, tuberculose, variole) contre lesquelles les autochtones n’étaient pas naturellement immunisés. Ce n’est qu’au début des années 1940 que la population autochtone a recommencé à croître pour retrouver, en 1966, le niveau qu’elle avait avant la colonisation européenne. Aujourd’hui, 466 337 Indiens appartiennent à l’une des 598 bandes réparties dans toutes les régions du Canada. Ces bandes habitent 2 284 réserves dont l’ensemble couvre un peu plus de 150 000 kilomètres carrés (fig. 5). En moyenne, une bande indienne compte 780 membres, mais plusieurs n’atteignent pas la cinquantaine, tandis que la plus grande, celle des Six Nations de la Grand River, est forte de 15 000 personnes. Selon les spécialistes, les Indiens, qui forment actuellement 1,7 p. 100 de la population canadienne, entreront pour 2,2 p. 100 dans le total au recensement de 2001. En effet, au cours du dernier intervalle intercensitaire, le taux de croissance annuel moyen des Indiens était plus de quatre fois supérieur à celui de l’ensemble de la population du Canada. Rien d’étonnant à ce que cette population indienne soit jeune: 59 p. 100 des Indiens ont moins de vingt-cinq ans en 1991 (37 p. 100 pour l’ensemble du Canada). En contrepartie, 4 p. 100 seulement ont dépassé soixante-cinq ans (11 p. 100 pour l’ensemble du pays). Plus de trois Indiens sur cinq vivent en milieu rural et un sur cinq habite des régions éloignées où il n’y a pas une route accessible pendant toute l’année pour se rendre à la ville la plus proche.

Les Métis sont d’ascendance indienne d’Amérique du Nord et européenne. Historiquement, le groupe le plus connu est celui des Métis de l’Ouest et du Nord-Ouest, centré au départ sur la rivière Rouge. En 1869-1870, menés par Louis Riel, les Métis se soulevèrent, tentant ainsi d’accéder à l’autonomie politique. Après l’échec du soulèvement et l’arrivée de nombreux colons européens, les Métis ont migré vers l’ouest et le nord, se propageant dans la Saskatchewan, l’Alberta, la Colombie britannique et les Territoires du Nord-Ouest. De nos jours, il est difficile de dire combien sont les Métis; l’estimation la plus plausible est de 150 000.

Les Inuit (Esquimaux) sont approximativement 27 000 au Canada, sur un peu plus de 100 000 que l’on compte sur la planète. Parlant l’inuktitut, ils vivent en petits groupes dans le delta du Mackenzie, les îles de l’Arctique et sur le littoral des Territoires du Nord-Ouest. On en rencontre également sur les rivages québécois des baies d’Hudson et d’Ungava, ainsi qu’au Labrador. Les communautés inuit se localisent préférentiellement dans les baies, à l’embouchure des cours d’eau, à proximité de bras de mer ou de fjords. C’est là le témoignage vivant d’une civilisation pour une grande part, aujourd’hui encore, tributaire de ressources marines (chasse, pêche). De Coppermine à Pangnirtung, le rythme de vie traditionnel est conditionné par le passage d’un troupeau de caribous, la présence de phoques ou de belugas échoués sur le rivage. Durant l’«été», on délaisse la maison du village pour implanter un campement assez précaire sur la «plage» à quelques mètres du domicile principal. Il suffit d’un brusque coup de vent, comme à Pangnirtung au début août 1986 (rafales à plus de 150 km/h) pour que cette manifestation de semi-nomadisme soit complètement anéantie. Signalons au passage que de nombreux «Blancs» qui «font du Nord» sur les îles arctiques ont adopté une attitude similaire à celle des Inuit: durant la belle saison, on vit à quelques miles du village dans une cabin (dont l’aspect n’est pas sans rappeler le cabanon des Marseillais) que l’on atteint en quad (moto à quatre roues motrices); entre la terrasse et le bord de la rivière, du lac ou du bras de mer sèchent au soleil des filets d’ombles que l’on fumera par la suite pour se nourrir pendant l’hiver.

Parmi les activités traditionnelles des Inuit figure le piégeage des animaux à fourrure, héritage du XVIIe siècle lorsque fut fondée, le 2 septembre 1670, la célèbre Compagnie de la baie d’Hudson. La plupart des communautés ont conservé leur poste de traite, même si les conditions ont singulièrement changé depuis lors. D’ailleurs, dans chaque village, «La Baie» est une institution et alors que depuis 1986, la chaîne de magasins a été vendue et rebaptisée Northern , l’ancienne dénomination n’est pas près de disparaître du vocabulaire des habitants.

De nos jours, de multiples aspects de la vie traditionnelle des Inuit se trouvent passablement modifiés par l’apport de la «civilisation du Sud». Après la Seconde Guerre mondiale, les déplacements aériens se développent et les télécommunications atteignent les points les plus reculés du Nord. Le kayak et le traîneau tiré par les huskies laissent la place au canot à moteur et au ski-doo. Rares sont les communautés qui ne disposent pas d’une piste d’atterrissage; parfois, comme à Pangnirtung (île de Baffin), celle-ci coupe carrément le village en deux. Ainsi, sans crainte d’exagérer, il est possible d’affirmer que la «civilisation du Sud» a envahi le Nord. La plus grande partie des collectivités inuit sont devenues des villages constitués, gérant leurs affaires par l’intermédiaire de conseils élus. Et le Conseil des Territoires du Nord-Ouest, organe similaire à ceux des provinces, compte en 1991 huit Inuit parmi ses membres élus.

Il n’empêche que cette évolution ne peut que catalyser les revendications des autochtones. Les revendications globales portent sur la poursuite de l’utilisation et de l’occupation traditionnelles des terres et étendues d’eau. Elles ont pour objet de protéger et promouvoir le sentiment d’identité des autochtones tout en favorisant leur participation de manière significative à la société contemporaine et à l’essor économique de leurs territoires.

Mosaïque ethnique... mosaïque linguistique également: au dernier recensement, 61 p. 100 des Canadiens déclarent l’anglais comme seule langue maternelle, 25 p. 100 le français, et 14 p. 100 déclarent une autre langue, mais chaque recensement enregistre une progression des langues originaires du continent asiatique. En ce qui concerne les Canadiens déclarant le français comme langue maternelle, neuf sur dix vivent au Québec. Cependant, les francophones représentent encore le tiers des citoyens du Nouveau-Brunswick (Acadie), alors que, partout ailleurs, ils n’entrent que pour moins de 5 p. 100 dans le total, y compris en Ontario, où le français constitue la seule langue maternelle de 425 000 personnes, soit le nombre le plus élevé à l’extérieur du Québec. Officiellement, le Canada est un pays bilingue: au dernier recensement, plus de 4 millions de personnes (soit 15 p. 100 de la population) déclaraient être en mesure de mener une conversation en français et en anglais. Le taux de bilinguisme est en progression, lente mais régulière. C’est au Québec (35 p. 100) et au Nouveau-Brunswick (29 p. 100) qu’il est le plus fort. Aujourd’hui, un peu plus de la moitié des Canadiens bilingues habitent au Québec.

Multiples apparaissent donc les originalités du peuplement et de la population du Canada, où, sur un territoire dix-huit fois plus étendu que la France, vit un groupe humain qui est à peine égal (45 p. 100) à celui de l’Hexagone. Et pourtant, en dépit de l’impression de désert humain qui surgit si facilement, on peut constater que l’utilisation de l’espace atteint déjà une extension considérable.

2. L’utilisation de l’espace canadien

On distinguait traditionnellement au Canada deux subdivisions essentielles: l’œkoumène et ce qui était en dehors. Actuellement à la suite des découvertes et des exploitations énergétiques ou métallifères du Nord et grâce au rôle fondamental qu’a joué dans l’espace canadien le transport aérien, il n’y a plus de partition nette de part et d’autre d’une limite de peuplement et de mise en valeur. Où que ce soit, on ne peut, bien évidemment, se défaire des grandes distances ou de la discontinuité du peuplement qui peut n’apparaître qu’en taches. Mais, à l’aide de satellites, entre autres, l’aire à découvrir se restreint quotidiennement. Rien n’aurait été possible, dans ces vastitudes, sans une puissante infrastructure de réseaux de transports. D’elle découlent aménagement de l’espace rural et développement des zones urbaines.

La primauté de l’équation circulation ne saurait être prise en compte sans rappeler un caractère essentiel de la configuration du Canada: alors que les axes géographiques s’orientent du nord au sud, prolongeant en bonne partie la physiographie des États-Unis, l’onde de peuplement, de mise en valeur et donc de progression des réseaux de communication s’est opérée transversalement, d’est en ouest. Ce n’est qu’à partir des années 1940 que, grâce à l’avion notamment, des tentacules ont pu parvenir jusqu’au Grand Nord. Dans tous les cas, il y a lieu de tenir compte de deux séries d’obstacles: à l’ouest, la masse orographique agit en sorte que Vancouver a plus de facilité à s’incorporer à la Megalopolis du Puget Sound qu’à communiquer, par voie de surface, avec les Prairies; toujours par mode de transport terrestre, aller d’Edmonton à Prince Rupert est une expédition! Au fur et à mesure que l’on progresse vers le nord, le climat, pourtant déjà peu clément dans bien des secteurs méridionaux, devient de plus en plus contraignant par l’exacerbation de certains de ses éléments. Et, aux entraves qu’il occasionne pour la navigation aérienne, s’ajoute l’embâcle de l’océan Arctique qui réduit à parfois un ou deux mois l’accessibilité maritime aux communautés inuit ou aux aires de prospection minière.

Transports et aménagement de l’espace

La progression de l’homme à l’intérieur de l’étendue du Canada est calquée sur celle des réseaux de transport, au premier rang desquels on trouve le rail, même si, aujourd’hui, la dépendance est de plus en plus forte à l’égard de l’avion ou de l’automobile. Dans les années 1930, les chemins de fer rassemblaient plus des quatre cinquièmes des recettes provenant du transport des marchandises; en 1960, leur part n’était plus que de la moitié et, au début des années 1990, elle s’établit à 36 p. 100. Dans le même intervalle, le camionnage est passé de 2 à 54 p. 100, tandis que le transport aérien ne recueille que 4 p. 100 , mais ce chiffre, tout comme celui de 6 p. 100 pour la navigation, a des apparences trompeuses.

La mise en valeur de l’espace canadien est un peu assimilable à une gigantesque bataille du rail. Pour mémoire, rappelons que l’histoire des chemins de fer au Canada a débuté par une ligne de 26 kilomètres, reliant Saint-Jean à La Prairie (Québec), inaugurée le 21 juillet 1836. Un quart de siècle plus tard, le pays compte déjà 3 200 kilomètres de voies ferrées. En 1930, le réseau est de 91 065 kilomètres, mais, à partir de cette date charnière dans l’histoire économique nord-américaine, la progression ralentit. Le maximum est atteint en 1974 avec 96 958 kilomètres. Depuis lors, la longueur des voies en service diminue: à la fin de 1988, elle est de 91 365 kilomètres. C’est en 1885 qu’a été achevé le premier transcontinental, le dernier crampon ayant été posé le 7 novembre à Craigallachie, près du col Eagle en Colombie britannique. 90 p. 100 de toutes les voies ferrées du pays sont possédées ou contrôlées par le Canadien National (C.N.) et le Canadien Pacifique (C.P.). Sur l’ensemble du réseau circulent 3 836 locomotives, 134 156 wagons et 1 233 voitures pour les voyageurs. Cette dernière mention est très évocatrice du rôle de plus en plus marginal que tient la voie ferrée pour l’acheminement des passagers, même si leur nombre progresse grâce aux dessertes cadencées mises en place au début des années 1970 entre Windsor et Québec, et principalement de part et d’autre de Toronto. Les services offerts pour l’acheminement des marchandises, tant en vrac qu’en conteneurs, sont particulièrement efficaces, en même temps que rapides et bon marché. À la fin de 1988, 291 millions de tonnes de marchandises ont été ainsi transportées, ce qui représente une hausse de plus de 20 p. 100 par rapport au creux enregistré en 1982.

On ne saurait parler des chemins de fer canadiens sans évoquer des images célèbres, devenues presque légendaires: les bâtiments des gares sont fréquemment imposants (Union Station à Toronto, Central Station à Winnipeg, où il ne passe pourtant que douze trains de voyageurs par jour...); accompagnant la progression du Canadien Pacifique, les châteaux-hôtels s’égrènent entre Québec et Vancouver, le château Frontenac (Québec), le Royal York (Toronto), le Banff Hot Springs Hotel et le château Lac Louise étant les plus connus. Impressionnantes, vues du ciel, sont les emprises des gares de triage, en particulier autour de Winnipeg où se rejoignent les deux réseaux du C.N. et du C.P. Répétées à des centaines d’exemplaires mais toujours différentes les unes des autres sont les petites gares au cœur des Prairies avec leur série de silos où, jour et nuit, sont chargés les wagons de céréales: Dauphin, Baldur, Somerset..., Notre-Dame-de-Lourdes et même Miami pour ne prendre des exemples qu’au Manitoba. Enfin, comment ne pas parler des trains eux-mêmes: convois de marchandises, par trains complets de céréales partis des Prairies vers Vancouver ou, de l’autre côté, vers Thunder Bay ou Montréal. Dans les Rocheuses, au Kicking Horse Pass, existe le seul tunnel hélicoïdal de l’Amérique du Nord: toujours captivante est la vision de ces trains démesurés dont la batterie de locomotives Diesel sort déjà du souterrain alors que le fourgon du serre-frein n’y a pas encore pénétré. Ambiance, pour terminer, des petites gares perdues dans les Rocheuses (Banff, Jasper) alors que la nuit tombe, que cerfs et biches s’ébattent entre les rames et que, mélancolique, retentit la cloche de la locomotive de tête pour annoncer le départ... Trente-six heures sont nécessaires pour relier Calgary à Vancouver; par avion, le vol dure 1 heure 15 minutes.

Si le rail est indissociable d’une mise en valeur du pays dans le sens longitudinal, l’avion, tout en faisant de même, est devenu indispensable pour la pénétration de l’immense Nord. Focalisé sur une dizaine d’aéroports importants au Canada, le transport aérien rayonne à partir d’une plaque tournante, Toronto. En 1988, l’aéroport international Lester B. Pearson a enregistré 16 760 000 passagers, soit 2,4 fois plus que Vancouver qui se classe au deuxième rang. À lui seul, l’aéroport de Toronto a un trafic supérieur à ceux de Vancouver, Montréal (Dorval) et Calgary réunis. La forte concentration du trafic sur peu d’aéroports, tout en traduisant remarquablement l’évolution vers un heartland ontarien auréolé d’un hinterland de dimension nationale, tout en recomposant un nouveau découpage combinant centralités et périphéries, occulte passablement le rôle de l’avion ailleurs. Ailleurs signifie plus ou moins hors de ce que l’on désignait jusqu’à récemment par œkoumène continu. On n’insistera pas sur le progrès ou le service rendu que peut représenter le vol de quatre heures en avion à réaction entre Vancouver et Montréal. Par contre, une même durée de vol pour se rendre de Calgary à Cambridge Bay ou à Inuvik, ou les trois heures nécessaires entre Ottawa et Iqaluit (Frobisher Bay) réservent une tout autre sensation, car ce sont des déserts que l’on traverse avant de parvenir à des taches de civilisation dont le cœur est l’aéroport. Aux pistes bétonnées, longues pour accueillir des «jets» telles qu’on les rencontre à Inuvik ou Iqaluit, s’ajoutent les dizaines d’aéroports en apparence improvisés mais à l’infrastructure fiable: Coppermine, Tuktoyaktuk, Rankin Inlet, Pelly Bay ou Resolute Bay. Partout, l’avion est générateur de domestication de l’espace et de maintien de la population, car les Amérindiens eux-mêmes, pourtant solidement enracinés à leur terre et à leur genre de vie, commencent à apprécier l’apport du «Sud» et désireraient peut-être émigrer si le transport aérien ne leur procurait pas une meilleure existence matérielle. Statistiquement, l’avion est très en deçà du train, encore plus de l’automobile, par le volume de trafic qu’il représente. Mais, économiquement et psychologiquement, il est le moteur essentiel de la mise en valeur et de l’utilisation de l’espace canadien.

Au Canada, le principal moyen de transport des marchandises est, de loin, la route. Hors des agglomérations urbaines, le réseau s’étend sur plus de 300 000 kilomètres. Alors que la route transcanadienne relie les océans Atlantique et Pacifique sur une distance de 7 725 kilomètres, d’autres axes sont également célèbres tant par leur longueur que par le rôle qu’ils continuent de jouer dans l’occupation de l’espace: route transalaskienne qui traverse le territoire du Yukon, route du Mackenzie entre Edmonton et Yellowknife, route de la baie de James ouverte à l’occasion des gigantesques chantiers hydroélectriques. Il faut mentionner que l’entretien du réseau routier canadien est particulièrement onéreux à cause du gel et de ses effets. Dès que l’on dépasse le 60e parallèle, l’asphaltage des chaussées doit être effectué avec un enrobé spécial, reposant sur des soubassements hors gel très épais. Vu les coûts de construction et d’entretien, on a fréquemment recours aux chaussées de terre compactée: tel est le cas du Dempster Highway (Whitehorse-Inuvik) ou du Klondike Highway (Whitehorse-Dawson City). En outre, on doit signaler que les franchissements des grands fleuves (Mackenzie entre Hay River et Yellowknife) ou de fjords (Saguenay à Tadoussac) ne se font pas par des ponts, dont la construction aurait été trop chère par rapport au trafic escompté, mais par des navettes de bacs (les «traversiers» du Québec), gratuites puisqu’elles assurent – selon la loi – la continuité du réseau de routes et d’autoroutes, ces dernières étant également empruntées sans péage.

Les transports par voie d’eau revêtent au Canada un double aspect, car la vocation maritime du pays est complétée par l’existence de la mer intérieure formée par les Grands Lacs (dont quatre sur cinq sont à cheval sur le Canada et les États-Unis) et l’axe laurentien. Ce n’est que depuis 1959 qu’est achevée la voie maritime de 8 mètres de tirant d’eau autorisant les navires de haute mer à se rendre à Thunder Bay à l’amont du lac Supérieur. Ils s’ajoutent, sans toutefois les supplanter, aux célèbres lakers , énormes péniches adaptées au gabarit des écluses, qui font la navette entre les ports du golfe et ceux des rivages ontariens. Alors que Vancouver, premier port de la façade pacifique nord-américaine, reste très loin en tête avec un trafic de 70 318 400 tonnes de marchandises en 1988, Thunder Bay se hisse au sixième rang avec 17 311 200 tonnes, suivi de Hamilton. Globalement, les onze ports principaux de l’Ontario totalisent plus de 80 millions de tonnes, soit plus de 20 p. 100 du tonnage de tous les ports canadiens. Sur la façade atlantique, hors du domaine laurentien (fleuve et golfe), Halifax (Nouvelle-Écosse) et Saint-Jean (Nouveau-Brunswick) sont pratiquement à égalité pour ce qui est du tonnage enregistré (respectivement 14,8 et 14,7 Mt).

On évoquera la place que prennent dans l’utilisation de l’espace canadien les oléoducs et les lignes de transport de force, particulièrement sous l’aspect du lien qu’elles créent entre les espaces nordiques, pourvoyeurs de ressources énergétiques, et le «Sud» peuplé et industriel. Fils électriques et pipelines illustrent à leur manière que la conquête du sol et du sous-sol devient de plus en plus un phénomène ubiquiste au Canada.

Structures agraires et paysages ruraux

Au Canada comme ailleurs, la mise en valeur de l’espace par l’homme repose essentiellement sur la partition entre la ruralité et l’urbanisation. Parce qu’il s’agit d’un pays «neuf» et parce que les montagnes de l’Ouest sont marquées par une très faible humanisation, les paysages ruraux se circonscrivent aux plaines centrales et aux rivages du Saint-Laurent, à quoi se greffent, dans le Pré- et le Moyen Nord quelques taches correspondant à d’anciens fronts pionniers (Clay Belts) ainsi que quelques secteurs de plaine en bordure des océans.

La principale distinction que l’on opère à propos de l’utilisation de l’espace à des fins agricoles oppose le «rang» québécois au «township» de l’Ontario et des Prairies.

Durant les XVIIe et XVIIIe siècles, la colonisation française a mis en place des concessions en bandes allongées, dans un sens perpendiculaire aux fleuves puis aux routes. Les habitations, installées sur la berge puis le long de la route, s’égrènent à l’origine à portée de fusil les unes des autres. Ces lignes ont reçu le nom de «rangs». Les premiers ont été établis le long du Saint-Laurent en 1626, soit seulement dix-huit ans après que Samuel de Champlain eut fondé Québec. Peu après, on installa des rangs le long des chemins: lorsque les maisons n’occupent qu’un seul côté, c’est le rang simple; s’il en existe des deux côtés, on parle de rang double. Ainsi, le terme de rang définit un territoire rectangulaire en lots étirés. Ce paysage agraire se singularise par plusieurs aspects spécifiques: terres de largeur à peu près égale d’une exploitation à l’autre, parcelle d’un seul tenant, résidence de l’exploitant sur son lot, forte densité des voies de communication ainsi que des clôtures. Dans chaque «paroisse» (commune), les terroirs de rangs s’opposent complètement aux lieux de service où l’habitat est concentré. Contrairement à une idée reçue, le rang ne peut être défini comme un type de village même si, dans le paysage, l’assimilation avec le Waldhufendorf est facile à faire. Les premiers lots qui furent concédés le long du Saint-Laurent avaient une largeur de 175 mètres et une profondeur de 2 800 mètres, soit une superficie de 49 hectares. Rapidement, les «rangs d’arrière-fleuve» ont complété les «rangs de fronteau»: à Montréal, en 1702, donc soixante ans après la fondation de la ville, 36 p. 100 des rangs étaient localisés à l’intérieur de l’île. Mais, depuis ses origines, ce paysage a fréquemment changé d’aspect: tantôt, par regroupement d’exploitations, on aboutit à une géométrie plus régulière du périmètre possédé; tantôt, dans le cas contraire (partage entre plusieurs enfants par exemple), les parcelles sont devenues plus étroites, et cela confère au paysage l’allure de «lames de parquet». C’est à ce stade que l’opposition avec le système du township est la plus flagrante.

Sous le régime britannique, plus particulièrement après 1791, le township (canton) est devenu le mode officiel de division des terres. Celles-ci sont réparties en carrés de 9,6 kilomètres de côté, chaque carré étant subdivisé en trente-six sections, elles-mêmes partagées en quatre. Ainsi est né un parcellaire à grands carrés et à habitat dispersé, mais incluant des regroupements sous forme de villages-centres. Répandu à l’origine en Ontario, ce système du township caractérise également le monde des Prairies, où la céréaliculture s’accommode fort bien de vastes parcelles géométriques. On a déjà vu qu’à la mise en place de ce paysage rural le chemin de fer était étroitement associé, à tel point qu’aucune exploitation ne se trouvait, dans le sud des provinces, à plus de 10 miles d’une ligne principale ou secondaire. En réalité, les compagnies ferroviaires ont été prises dans une dynamique qu’elles n’avaient pas prévue: leur but était uniquement d’atteindre le Pacifique. Mais, quand elles ont saisi l’aspect lucratif que pouvait représenter la mise en valeur de ces terres vierges, elles entreprirent la construction d’un canevas assez serré de lignes secondaires. Ces compagnies n’hésitèrent pas non plus à céder à bas prix les terrains localisés près de leurs emprises à condition que les acquéreurs s’engagent à utiliser le rail pour écouler leurs produits. Comme l’action se passe à la fin du siècle dernier et qu’il n’y a aucune concurrence d’un autre mode de transport, le succès a été immédiat!

De même que l’on a noté une évolution du rang, une mutation du township est également perceptible. Cela principalement en rapport avec des données d’ordre naturel: l’optimisation du paysage du township s’explique par la nature même du sud du Manitoba et de la Saskatchewan, c’est-à-dire des secteurs où bons sols et climat se conjuguent pour faire de l’espace le grenier à blé que l’on sait. Dès lors que l’on s’avance vers le nord, de plus grandes superficies sont indispensables à chaque exploitation pour parvenir à des résultats identiques. D’où un agrandissement des composantes du damier et même l’apparition, sur les franges pionnières, de lambeaux de forêt attestant du caractère en apparence inachevé de la mise en culture et donc de l’utilisation de l’espace.

Par cet aspect, on se rapproche de l’aménagement agricole des Clay Belts, où le principe a été de développer une agriculture de survie en rapport avec l’ouverture de chantiers forestiers ou de concessions minières (Abitibi-Témiscamingue). À la palette des paysages ruraux et des aménagements de l’espace pour l’agriculture, il convient d’ajouter quelques portions de territoires côtiers, tant sur le Pacifique que sur l’Atlantique.

Dans le premier cas, on mentionnera les «bons pays» que représentent le delta du Fraser et le sud de l’île de Vancouver, où la richesse de l’agriculture est très dépendante de l’urbanisation galopante. Ce paysage paisible combinant économie herbagère, élevage laitier et agriculture maraîchère (en partie sous serres) n’a d’égal que celui qu’on rencontre à proximité des littoraux de la Nouvelle-Écosse, dans les vallées de Cornwallis-Annapolis, ou encore sur l’île du Prince-Édouard, réputée pour ses pommes de terre.

Au total, on est frappé, lorsqu’on visite en détail le Canada, par le soin apporté à l’occupation du moindre arpent de terre pouvant être nourricier. Sans aucun doute y a-t-il là l’illustration qu’en matière d’aménagement de l’espace le quantitatif ne sous-tend pas automatiquement le qualitatif. Vraisemblablement aussi préfigure, dans la conservation et le développement de l’espace à des fins agricoles, la volonté de démontrer que le Canada est bien davantage qu’un appendice de son voisin méridional. Ce que l’on perçoit également au niveau de l’aménagement de l’espace urbain.

L’espace urbanisé canadien

On a remarqué, dans l’étude de la population, la place qu’occupe au Canada la population urbaine, même si les taux d’urbanisation fluctuent fortement d’une province à l’autre. La ville est donc un fait essentiel dans la géographie du pays. Donnée première dans l’occupation de l’espace national, le ville ne saurait être, au Canada, partout dérivée du même modèle. L’uniformité des paysages urbains n’est qu’apparente. S’il existe bien évidemment une hiérarchie selon la taille, les facteurs géographiques, voire historiques ne sauraient être sous-estimés. Par ailleurs, la fonction prédominante est à prendre en considération quoique, par définition, les grosses agglomérations soient primordialement multifonctionnelles.

Toronto

Forte de 3 667 000 habitants, la capitale de l’Ontario est la plus peuplée des agglomérations du Canada; elle est incontestablement la métropole de tout le pays. Regroupant à elle seule plus de 13 p. 100 des Canadiens, première place économique et financière du pays, Toronto conforte chaque année davantage son rôle de leader, acquis durant la décennie 1970-1980 aux dépens de Montréal. Très «british» jusqu’à la fin des années 1960, l’agglomération a cédé à un cosmopolitisme en rapport avec la diversification des provenances de la population immigrée. Par l’architecture révolutionnaire et son urbanisme futuriste faisant voisiner la tour élancée du Canadien National (C.N.) et le skydome au toit ouvrant, Toronto se veut un modèle de développement en misant également sur sa réputation de ville nord-américaine où l’on circule le plus aisément et où l’insécurité n’existe pas.

La ville, en réalité, n’est que le cœur d’une agglomération linéaire qui s’étend sur près de 80 kilomètres le long du lac Ontario, englobant depuis peu le Golden Horseshoe. La fondation remonte à 1793, c’est-à-dire un siècle et demi après Montréal, à la faveur de l’utilisation d’un site protégé pouvant constituer un port. Sous le nom de York jusqu’en 1834, Toronto ne colonise dans un premier temps que le rivage situé à l’ouest de la Don River. Pendant de longues décennies, ses fonctions ne furent qu’administratives. La seconde moitié du XIXe siècle apporte une impulsion nouvelle grâce à l’arrivée du chemin de fer: la voie ferrée établit ici non seulement des relations entre l’Ouest et l’Est, mais encore sert d’axe de transit avec les États-Unis. En revanche, le port n’a jamais connu un rôle vraiment significatif, et son modeste trafic de 1 627 500 tonnes en 1988 lui fait occuper le vingt-neuvième rang à l’échelle du pays. Il faut attendre les décennies qui suivront la fin du second conflit mondial pour voir la métropole torontoise enfin «décoller», affirmer sa puissance au point de devenir le pivot de toute l’économie canadienne. Le somptueux Quartier Central des Affaires, bâti autour de Yonge Street, est à l’unisson de la richesse globale de l’agglomération: les édifices, tel celui du Toronto-Dominion Bank, ou les centres commerciaux couverts (Eaton’s Center) n’ont rien à envier à ceux de Manhattan ou de San Francisco, tandis que la vertigineuse tour du C.N. toise la ville du haut de ses 410 mètres, telle une tour de contrôle au-dessus d’un aéroport. Centre financier et décisionnel du Canada, Toronto est aussi une métropole universitaire et culturelle. Le campus d’York peut sans crainte rivaliser avec Berkeley.

En auréoles semi-circulaires autour du «vieux» centre bouillonnant d’activités s’étendent les quartiers résidentiels, tandis que l’industrie est rejetée plus loin, le long des tangentes autoroutières. Image même de l’ascension réussie d’une agglomération qui ne disposait à l’origine que de modestes attributs géographiques, Toronto symbolise le dynamisme provincial autant que fédéral et conserve une position avantageuse face à l’industrial belt étatsunien dont l’emprise est pourtant bien marquée sur la rive septentrionale du lac Ontario.

Montréal

Fière d’avoir franchi, à la fin de 1988, le seuil des 3 millions d’habitants, l’agglomération montréalaise bénéficie, dès sa fondation en 1642, d’une excellente position géographique. L’implantation originelle se situe sur l’île principale de l’archipel, donc dans une situation défensive. Toutefois, là n’est pas le seul avantage: à ce point du cours du Saint-Laurent s’interposent les rapides de Lachine, qui empêchaient toute navigation vers l’amont. Ainsi surgit dès le départ sur une île la double fonction de port et de point de rupture de charge. Mais, par rapport à l’espace environnant, d’autres atouts sont évidents: Montréal est un carrefour exemplaire. Vers l’est, le Saint-Laurent assure l’ouverture sur l’Atlantique et, précocement, Montréal ravira la primauté portuaire à Québec. Vers le sud, le corridor Richelieu-Champlain-Hudson positionne Montréal en droite ligne avec New York. Vers l’ouest et le nord-ouest enfin, le Saint-Laurent et la rivière des Outaouais assurent la jonction avec les Grands Lacs et tout l’ouest du pays. Jusqu’à l’ouverture de la voie maritime du Saint-Laurent en 1959, la fonction industrialo-portuaire sera fortement prédominante à Montréal; la suppression de la rupture de charge sur au moins deux tiers de l’année (car on ne peut éviter l’embâcle hivernale) est à l’origine d’un tassement du trafic. Dans les dernières années de la décennie 1980-1990, le tonnage plafonne à 21 millions de tonnes par an, et Montréal se classe loin derrière Vancouver et juste après Sept-Îles et Port-Cartier.

Lorsqu’au début des années 1940 Montréal fut la première agglomération canadienne à dépasser le million d’âmes, seuls le sud et l’est de l’île étaient urbanisés. Le reste de l’archipel restait voué aux cultures. Aujourd’hui, l’expansion est telle que non seulement la totalité de l’île de Montréal est bâtie, mais aussi l’île Jésus et une bonne partie du «continent» riverain du Saint-Laurent et de ses ramifications. À l’image des autres grandes aires urbaines nord-américaines, l’épanouissement des banlieues s’opère sur des distances considérables à tel point que le Quartier Central des Affaires, coincé entre le Mont Royal et le fleuve, apparaît singulièrement étriqué vis-à-vis du reste. Deux particularités font de Montréal une ville qui n’est pas tout à fait comme les autres: quoique deuxième agglomération francophone au monde, derrière Paris, la métropole québécoise est, de plus en plus, une remarquable illustration du bilinguisme canadien. Au sein de la province du Québec, francophone à 82,8 p. 100, Montréal constitue l’exception avec seulement 67 p. 100 de locuteurs français, mais 20 p. 100 d’anglophones. Ce qui est frappant, c’est que Français et Anglais occupent dans la ville des secteurs géographiques bien individualisés: l’Ouest (Westmount) est anglais, alors qu’à l’est Outremont «sent bon la France». Cependant, tout le monde se retrouve volontiers sous le centre des affaires pour apprécier, l’hiver surtout, la chaleur de la spectaculaire Ville-Marie, deuxième spécificité montréalaise. Occupant en sous-sol, sur trois niveaux, à peu près la moitié du Quartier Central des Affaires, on a là la ville souterraine la plus vaste du monde: 15 kilomètres de couloirs et de mails donnent accès à une multitude de grands magasins et boutiques qui emploient au total près de 20 000 personnes. Fourmilière abritée du froid, réplique moderne à la rudesse du climat accentuée par l’abondance de la neige, Ville-Marie ne saurait trouver un écho à Vancouver, baignée par la douceur du littoral pacifique.

Vancouver

Réputée pour être la plus belle ville du Canada, Vancouver a réussi à marier la montagne à la mer, dans un décor forestier soumis au climat le plus tempéré du pays. Vancouver, c’est à la fois neuf lettres qui résonnent comme une sorte de fascination, un mot qui possède une connotation magique, le leitmotiv de la réussite de l’Ouest, une sorte de superlatif lorsqu’on parle du Canada. Les Français ont l’impression que c’est un peu Grenoble qui serait au bord de la mer, tant la ville est liée à la montagne qui l’entoure et à la matière grise qui jaillit de ses universités. Au pied du décor d’altitude qui domine la marina, Vancouver et son agglomération de 1 506 000 habitants exercent une attraction incomparable.

Forte d’une croissance spectaculaire, liée à des atouts géographiques ainsi qu’aux effets conjugués du port, de la gare et de l’aéroport, Vancouver affiche la plus forte croissance démographique parmi les agglomérations canadiennes durant le dernier demi-siècle. Premier organisme portuaire du littoral pacifique, terminus des deux transcontinentaux ferroviaires, deuxième aéroport national, Vancouver, née entre Burrard Inlet et False Creek, étend chaque jour ses constructions sur le delta du Fraser dont les terrains agricoles sont également réputés. Cité du futur tournée vers l’Asie, vitrine de l’Occident sur le Pacifique, Vancouver exprime également la majorité des contrastes canadiens: au pied des audacieux gratte-ciel, la cité «rétro» de Gastown symbolise la réhabilitation de l’ancien quartier portuaire. Composante à part entière de la Megalopolis du Puget Sound, Vancouver veut se placer au rang de Seattle. Comme son homologue, son activité est débordante, et ses lumières, dit-on, ne s’éteignent jamais. Les édifices hardis du Toronto Dominion ou d’I.B.M. annoncent le futur d’une ville à peine centenaire, un peu comme les jeux Olympiques d’hiver de 1988 ont voulu symboliser le renouveau de Calgary.

Les villes des Prairies

Alors que la Saskatchewan se contente d’un binôme urbain de taille assez modeste (Saskatoon, Regina), Alberta et Manitoba connaissent un taux d’urbanisation largement supérieur. On trouve de nombreuses ressemblances entre Winnipeg (640 000 hab.), capitale du Manitoba, Edmonton (804 000 hab.), capitale de l’Alberta, et Calgary (706 000 hab.), la ville des olympiades d’hiver de 1988. Ce qui frappe dans les trois cas, c’est l’ampleur de l’espace occupé. Il est vrai que la place, dans ce monde de plaines, ne fait pas défaut, mais on est toujours surpris de constater qu’en surface, l’aire urbaine de Winnipeg est plus vaste que celle de Marseille, par exemple. Plus qu’ailleurs au Canada, le chemin de fer tient dans le développement des trois agglomérations un rôle fondamental. Historique puisque ces cités sont des «filles du rail», économique car les grandes gares de triage ou, à Winnipeg, les ateliers principaux du Canadien National (C.N.) sont pourvoyeurs d’emplois. La naissance récente de ces villes (en 1884, Winnipeg avec 25 000 habitants était la plus grande ville de l’Ouest) n’a d’égal que la modernité et la fonctionnalité de l’utilisation de l’espace. En vain cherche-t-on une rue en courbe et, à Edmonton, les «blocs» sont parfaitement calqués sur le damier des townships, attestant que la conquête du bâti urbain sur l’espace rural ne s’effectue pas par mitage, mais par transformation de carrés tout entiers.

Le chemin de fer n’explique cependant pas à lui seul la croissance spectaculaire de ces agglomérations-champignons. Alors que Winnipeg doit beaucoup au commerce des céréales, à l’implantation en 1970 du siège de la Compagnie de la baie d’Hudson et à un aéroport, dont le trafic croît rapidement, Edmonton, qui a ouvert en 1986 le plus grand centre commercial du monde (Edmonton Mall Center), vit beaucoup par sa fonction de capitale et surtout par sa position de gateway-city vers le nord et le nord-ouest. Calgary, de son côté, est la capitale économique de l’Alberta, autour de ses gisements d’hydrocarbures dont les réserves commencent à décliner. Bien plus que dans d’autres provinces se ressent dans les Prairies l’impression d’un «pays neuf» avec l’indissociable sentiment que quelque chose est inachevé. Les agglomérations de ces immensités céréalières s’apparentent à un espace en devenir; en ce sens, elles s’opposent à trois autres exemples, difficiles à classer.

Les villes traditionnelles

Un trio de villes s’individualise franchement au Canada: Ottawa-Hull, Québec et Victoria. Il ne s’agit pas de grands organismes mais la taille n’obère en rien la personnalité! D’un côté, Québec est la plus francophone; de l’autre, Victoria la plus «british» et, enfin, Ottawa-Hull réalise, de part et d’autre de la rivière des Outaouais, ce compromis légendaire qu’on évoque toujours au Canada puisque la conurbation se partage entre l’Ontario (Ottawa) et le Québec (Hull) et illustre au mieux le bilinguisme officiel. Dans chaque cas, ce n’est pas l’industrie qui constitue l’activité essentielle; ce ne sont même pas les buildings des centres des affaires qui risquent d’impressionner. Fait rare pour ce pays toujours jeune, c’est l’histoire qui marque Québec, la seule ville fortifiée de l’Amérique du Nord, l’unique exemple d’une citadelle et d’un champ de bataille qui aient réellement servi à faire parler les armes (bataille des Plaines d’Abraham). Québec, a-t-on dit, représente pour les Nord-Américains «la France sans avoir à traverser l’Atlantique». Les rues étroites de la basse ville (là même où Champlain se fixa), la statue de Louis XIV sur la petite place au pied de l’imposant château Frontenac (un des châteaux-hôtels du C.P.) en font un incomparable «Montmartre-sur-SaintLaurent», tandis que sur la côte pacifique, à la pointe méridionale de l’île de Vancouver, Victoria rappelle à chaque pas que S.M. la reine d’Angleterre demeure le chef de l’État canadien, bien que la Constitution ait été «rapatriée» en 1982. Victoria, peut-être encore davantage que Québec, n’est pas une ville comme les autres. Capitale de la Colombie-Britannique, ce little bit of old England demeure l’image même de la ville administrative avec, autour du port, l’édifice gouvernemental dont l’illumination vespérale fait penser à un palais des mille et une nuits, et le célèbre Empress Hotel, le plus anglais des châteaux-hôtels égrenés le long du transcontinental. Bénéficiant d’un climat particulièrement doux en hiver, Victoria apparaît finalement comme le dernier témoin, au Canada, de la grandeur impériale.

À Ottawa-Hull, tout s’éclipse devant la fonction de capitale fédérale, totalement distincte de la capitale provinciale et économique, Toronto. On y retrouve l’ambiance paisible et sérieuse de La Haye ou de Canberra dans un cadre de parcs et de canaux, ces derniers se transformant l’hiver en itinéraires de patinage (canal Rideau).

Ces trois agglomérations, où l’histoire réapparaît, traduisent la variété des types d’aménagement urbain que l’on peut côtoyer au Canada. Le tour d’horizon serait incomplet si l’on n’allait observer ce qui se passe dans le Nord lointain, où l’urbanisation existe également.

Un espace urbanisé nordique: Yellowknife

Capitale des Territoires du Nord-Ouest dans un rentrant de la rive septentrionale du Grand Lac des Esclaves, Yellowknife est indistinctement une cité minière, un carrefour aérien, un pivot économique et le cœur politico-administratif du «Nord territorien», vaste à lui seul comme toute l’Europe. Surgissant entre les roches moutonnées, les buildings cohabitent avec les maisons modestes à un seul étage bordant des rues qui ne sont pas toutes asphaltées. Terminus de la route d’Edmonton, Yellowknife prospère en bonne part grâce à son aéroport d’où irradient les dessertes vers le delta du Mackenzie, les îles arctiques ou le rivage occidental de la baie d’Hudson. Cité du désert en plein cœur du bouclier, Yellowknife illustre le devenir d’un front pionnier apparu grâce aux filons aurifères et érigé en centre décisionnel par le développement des communications qui l’ont fait passer de l’état d’isolat à celui de point central d’un énorme secteur du Canada.

Problématique d’une division régionale du Canada

On a souligné l’importance de l’immensité canadienne et la variété souvent méconnue des aspects du pays. Cela sous-tend une évidente complexité dès lors qu’on doit pratiquer au sein de l’ensemble un découpage spatial ou une division régionale.

Il est indispensable de se défaire des normes européennes, même si, dans certains cas, le Canada offre l’existence de régions ou de «pays» de dimensions proches de ce que l’on connaît dans l’Ancien Monde. L’écueil à éviter, lorsqu’on est en présence d’un territoire aussi étendu, est d’aboutir à un véritable puzzle de micro-régions, chacune étant distincte de l’autre, parfois par des détails infimes; on perd alors facilement la notion d’insertion locale dans un ensemble nettement délimité.

Au Canada, surtout dans les provinces les plus anciennement constituées, chaque village, chaque vallée, peut se singulariser nettement vis-à-vis des autres: tel est le cas dans le secteur du Saguenay-lac Saint-Jean où chacune des communautés peut apparaître comme un monde à part. Saint-Cœurde-Marie, Roberval, Sainte-Rose-du-Nord et bien d’autres «paroisses» forment nettement des petits mondes isolés; les considérer individuellement, pourtant, fait commettre l’erreur d’occulter le fil conducteur qui réalise l’unité régionale: l’axe de la rivière et du fjord du Saguenay.

Comme ailleurs, l’environnement naturel, la population et l’économie sont les paramètres les plus évidents qui viennent à l’esprit pour déterminer des ensembles régionaux. Par ce biais, il est aisé de distinguer des grands ensembles, de définition tout à fait simple et classique. À l’intérieur de ceux-ci s’organisent des grandes régions, elles-mêmes parfois divisées en plus petites unités, ces dernières rappelant nos «pays». Le sentiment d’appartenance régionale apparaît comme un élément primordial dans la définition, mais il n’est malgré tout qu’un critère parmi d’autres.

Pour tenter de déterminer des espaces et des régions, les économistes fondent volontiers leur raisonnement sur des distinctions statistiques pour lesquelles l’unité peut être vaste (la province) ou plus réduite (le comté). Un tel découpage ne rend presque jamais compte des facteurs physiques ou des richesses naturelles; il ne fait pas appel non plus à la perception de l’entité spatiale par ses propres habitants.

Les politiciens et, d’une manière générale, le grand public confondent très fréquemment au Canada régions et provinces, en se fondant eux aussi sur des critères statistiques et en faisant référence à l’histoire. De cette manière, ils évoquent en tant que région «la province atlantique» ou «la Prairie», alors que ce sont des espaces où des particularismes nombreux voilent souvent l’élément commun dicté par l’ambiance climatique ou la topographie: il est vrai que Terre-Neuve et la Gaspésie s’insèrent dans le même ensemble, mais combien sont nettes les oppositions entre la péninsule d’Avalon et les rivages de la baie des Chaleurs! La géographie se doit de mettre en évidence l’ensemble des données du paysage au sens global du terme, c’est-à-dire en considérant une entité physique et humaine, sans oublier que se surimpose dans chaque cas, au niveau des populations, une «conscience régionale». Chaque Canadien a probablement une vision différente de la spécificité de la région où il demeure, et sans doute chaque Canadien a une perception différente de la totalité du Canada.

Quatre rubriques essentielles peuvent être retenues pour parvenir à un découpage régional du Canada:

– Tout d’abord, les interrelations entre les espaces et les sociétés. Il s’agit ici de privilégier le plus souvent les facteurs physiques: géologie, géomorphologie, pédologie, hydrographie et hydrologie, végétation, climat. Et il convient d’examiner à ce propos comment les hommes ont pu ou n’ont pas pu s’intégrer à leur environnement.

– Cette adaptation humaine, qui va de pair avec la mise en valeur d’un cadre naturel, permet de préciser une identité paysagère régionale dans la mesure où le paysage, tel qu’il apparaît à présent, est la résultante d’un processus de structuration de l’espace à partir des deux composantes primordiales que sont l’environnement naturel et la répartition spatiale des hommes ainsi que leurs activités. De la sorte, de vastes superficies au Canada livrent des aspects silimaires dans leur paysage, et c’est en regroupant ces similitudes dans un périmètre que l’on peut cerner le «caractère régional», la spécificité intrinsèque de l’espace ainsi délimité tout en saisissant du même coup les différences par rapport à d’autres unités spatiales.

– On aboutit nécessairement à une répartition géographique des faits qui s’ordonne obligatoirement suivant une typologie. Le paysage peut alors acquérir un aspect linéaire (le «rang» québécois) ou carré (le township ontarien). Cette allure géométrique est tout à fait caractéristique des pays neufs et, dans le cas d’un territoire aussi vaste que le Canada, ce que nous appellerions volontiers le «look» du paysage peut s’étendre sur d’immenses surfaces et former un élément décisif dans la délimitation d’unités régionales.

– Enfin, il faut tenir compte du fait, que tout paysage est dynamique. Si l’environnement naturel n’évolue finalement qu’assez peu à l’échelle d’une vie humaine, les adaptations humaines, elles, sont en perpétuelle mutation. L’évolution qui se poursuit de manière ininterrompue contribue à ce que la géographie régionale du Canada d’aujourd’hui ne soit plus du tout identique à celle d’il y a seulement deux décennies.

Alors, dans le périmètre canadien, quels espaces? Quelles régions? Comment parvenir à une division régionale dans laquelle il n’y ait ni trop ni trop peu d’espaces distincts? Et comment sauvegarder, dans ce découpage, l’unité et la diversité du pays pris globalement?

Partons de la vision régionale qu’ont les Canadiens de leur propre pays. Pour l’énorme majorité d’entre eux coexistent trois immensités: le Nord, l’Ouest et l’Est... Mais ne demandez jamais où commence le Nord et où l’on passe de l’Est à l’Ouest! On peut être étonné qu’il n’y ait pas de «centre» et encore moins de «Sud» dans l’esprit des habitants. Pas de centre, car on ne saurait trop où le placer, même si le centre géographique entre Terre-Neuve et l’île de Vancouver se situe du côté de Thunder Bay. Mais, lorsqu’on questionne à propos de cette agglomération, on ne vous répond pas qu’elle est au centre de la fédération mais que c’est «la porte de l’Ouest»... Pas de Sud, pour une raison assez simple: dans l’esprit des Canadiens, ce que nous appellerions «le Sud», c’est en définitive tout le Canada, tant le pays, jusqu’à une époque récente, a paru ignorer son Nord.

Partager le pays en un Nord, un Ouest et un Est est une simplification grossière parce que trop imprécise. Un tel découpage n’acquiert pas la même signification suivant l’endroit où l’on se trouve: pour un habitant de Vancouver, un parent qui vit en Ontario, en Nouvelle-Écosse ou au Manitoba demeure «à l’Est». Et tel autre citoyen de Saint-Jean (Nouveau-Brunswick) va «à l’Ouest» parce qu’il rend visite à son frère qui habite... Ottawa! Quant au Nord, malgré les distinctions opérées, sa délimitation devient parfois fantaisiste chez beaucoup de personnes interrogées: pour les habitants de Windsor (Ontario), Timmins c’est déjà le «Nord profond», alors que cette ville est pratiquement à la latitude de Vancouver.

Les points cardinaux ne sauraient par conséquent permettre de déterminer des espaces, encore moins des régions au Canada. C’est pourquoi il y a lieu de rechercher des facteurs distinctifs suivant une optique se fondant sur les hommes, la mise en valeur et le cadre naturel.

On se trouve alors devant quatre nouvelles alternatives:

– On dissocie d’abord un Canada peuplé ou «colonisé», marqué par de fortes densités humaines et une intense activité économique, et un «Nord» quasi vide d’hommes et où l’économie ne connaît qu’un développement ponctuel.

– Une deuxième opposition est d’ordre linguistique et historique: d’un côté, le Canada anglophone et, de l’autre, les régions francophones, c’est-à-dire la province du Québec, l’Acadie et quelques îlots (Saint-Boniface près de Winnipeg par exemple).

– En troisième lieu, on peut distinguer un «cœur» et un «arrière-pays» (heartland et hinterland). À cet égard, en Ontario, les rivages des lacs Érié et Ontario, mais surtout le Golden Horseshoe forment le heartland, et le reste de la province n’est qu’un hinterland. Même séparation au Québec avec les pays laurentiens et le nord de la Belle Province. Au Manitoba, on oppose dans cette optique l’agglomération de Winnipeg à tout le pays rural et agricole qui, pourtant, lui est directement lié. À la limite, cette idée d’un heartland s’applique au Canada pris intégralement si l’on considère que, en dehors du sud de l’Ontario et du Québec, on n’est en présence que d’espaces en voie de développement ou de «pays» neufs.

– Enfin, il faut noter qu’au Canada on a affaire à un territoire qui est un amalgame de régions plus ou moins polarisées sur un noyau principal et souvent sur des centres secondaires. Autrement dit, une bonne partie de la superficie correspond à une imbrication de zones d’influence urbaines avec toutes les particularités que peut entraîner la structure politique fédérale. Dans cette perspective, ce sont les villes ou les agglomérations qui commandent le partage de l’espace et la régionalisation. Cela se confirme dans certains cas, mais pas partout: dans les provinces des Prairies, le schéma d’organisation de l’espace répond bien, au Manitoba, à l’influence centralisatrice de Winnipeg et dans les deux autres provinces à la rivalité que ne manquent pas d’introduire les binômes Regina-Saskatoon et EdmontonCalgary. Mais, dans les provinces de l’Atlantique, il apparaît bien difficile de découper l’espace en fonction des agglomérations et de leurs zones d’influence, dans la mesure où la seule véritable agglomération est celle d’Halifax et où son arrière-pays est relativement limité. Ainsi, la séparation entre régions polarisées par les villes et régions non urbanisées n’apparaît pas automatiquement sous l’aspect des seules zones d’influence.

D’autres facteurs interviennent à plus vaste échelle. Ceux-ci sont majoritairement des éléments naturels, ce qui introduit des cadres spatiaux assez vastes comme support principal.

C’est pour cette raison que le Canada est un territoire dont l’ampleur engendre un double découpage: en espaces d’abord et en régions ensuite, voire en «pays» à l’intérieur de chacun d’entre eux. En rapport étroit avec les données physiques et la densité du peuplement et de la mise en valeur, on admet que le territoire canadien peut se partager en six espaces d’inégale étendue mais facilement discernables par un faisceau de caractères géographiques et économiques spécifiques.

Le plus vaste et, sans doute, le plus complexe malgré sa faible population, c’est le Nord. Ou plutôt les espaces nordiques, tant la dénomination de «Nord» se révèle ambiguë. Politiquement, le Nord regroupe le Territoire du Yukon et les Territoires du Nord-Ouest. Cela le limite vers le sud au niveau du 60e parallèle, ce qui ne correspond pas, tant s’en faut, à une limite franchement géographique. Mais il est vrai que l’entité territorienne par rapport à la structure provinciale du reste de la fédération fait de ce Nord un monde structurellement à part, même si, au sud, ses composantes géographiques se rencontrent bien plus loin que le 60e parallèle.

Continental autant qu’insulaire, le Nord est d’une diversité que l’on ne soupçonne pas a priori. On imagine un espace désolé et froid, un désert au cadre physique invivable occupé par quelques peuplades dont on évoque même l’arriération. Dans la réalité, le Nord n’est pas que la terre d’élection de la toundra étendant sa carapace morne sur des vastitudes infinies. C’est un domaine en partie boisé et, plus souvent qu’on ne le croit, collinaire, voire montagneux.

Cet espace immense entouré par un océan gelé correspond, en bien des endroits, au prolongement d’autres unités que l’on rencontre plus au sud: le Territoire du Yukon est un élément septentrional de la cordillère de l’Ouest; la vallée du Mackenzie prolonge vers la mer de Beaufort le monde des plaines de l’intérieur, et les montagnes de l’île de Baffin s’incorporent à la guirlande de reliefs qu’on suit jusqu’aux Appalaches. Mais ce Nord n’est pas que la continuation des espaces d’un domaine insulaire et arctique. C’est, au contraire, une mosaïque de régions où cohabitent la tradition et le modernisme, où se côtoient l’igloo et la plate-forme de forage pétrolier. C’est une terre d’avenir et en devenir et, en tout cas, la clé du futur, c’est-à-dire du Canada de l’an 3000.

Aussi vaste que lui se présente un autre espace en devenir: le bouclier. Son unité est avant tout géologique: la zone d’affleurement du vieux socle précambrien. Si l’on ne considère que ce critère, le bouclier empiète largement sur le domaine précédent et couvre, en gros, la moitié du Canada continental. Mais si, dans sa grande majorité, c’est le support géologique qui est l’élément déterminant, au-delà d’une certaine latitude (600 N. pour simplifier), c’est la nordicité qui l’emporte, et le bouclier s’efface en tant que tel devant le Nord territorien. Ce bouclier offre un espace moins varié et bien moins grandiose que le Nord. Les innombrables lacs qui apparaissent comme autant d’écrins dans un océan forestier ou rocailleux en font un monde tout à fait singulier. Mais c’est aussi une terre d’exception par l’abondance et la variété des ressources minérales, forestières ou hydrauliques. Le bouclier, c’est comme le réservoir et le magasin destinés à approvisionner le Sud, énorme consommateur de ses richesses. C’est aussi la réputation d’un climat particulièrement âpre jusque dans les contrées que la latitude fait considérer, pour le Canada, comme méridionales. Rien d’étonnant alors à ce que, comme dans le Nord territorien, l’on n’y rencontre qu’un habitat ponctuel là où les ressources du sol ou du sous-sol sont exploitées. À tous égards, le bouclier reste avant tout pionnier. La mise en valeur du potentiel hydroélectrique du pourtour de la baie de James montre assez qu’il est, lui aussi, une terre de la promesse, tout comme l’ont été les montagnes de l’Ouest il y a environ un siècle.

L’Ouest cordilléran, c’est la montagne par excellence; c’est aussi l’espace le plus facile à définir et à délimiter. Même si des reliefs élevés existent ailleurs (îles de Baffin ou d’Ellesmere), l’Ouest évoque pour le Canadien la montagne au même titre que les Alpes pour un Français.

Les montagnes de l’Ouest constituent le domaine des grands contrastes sur les distances les plus courtes. L’Européen, et en particulier l’Alpin, y retrouve ce contexte bien connu de petites unités qui s’ajoutent les unes aux autres pour former un ensemble tout en conservant intacts leurs particularismes. Ce qui n’exclut jamais l’évolution vers le modernisme: longtemps synonyme de région d’arboriculture fruitière, où la culture des pommiers tendait à devenir monoculture, la vallée de l’Okanagan vient de s’éveiller au tourisme et devient une aire de loisirs appréciée des habitants de Vancouver. Cet Ouest des montagnes, c’est aussi un Ouest pacifique et, par son climat exceptionnel autant que par sa position géographique, le delta du Fraser en devient l’élément moteur par rapport aux montagnes qui acquièrent les traits d’un arrière-pays. On retrouve là le cheminement vers la dichotomie déjà évoquée du heartland et de l’hinterland, dont les racines se trouvent en Ontario mais aussi dans les provinces des Prairies.

La Prairie, les Prairies, les plaines de l’intérieur: trois dénominations pour un même ensemble dont l’unité repose autant sur la géomorphologie que sur la mise en valeur. C’est le domaine traditionnel de la céréaliculture. Cependant, si celle-ci existe partout, ce n’est pas partout la même céréaliculture, car le climat impose par ses nuances des contraintes sévères dont la technologie et la science agronomique essaient de s’affranchir. Traditionnellement, les provinces des Prairies évoquent par leur paysage les alignements d’«elevators» le long desquels stationnent les interminables trains de céréales ; le paysage rural est celui des grands carrés avec leur semis régulier de fermes. Mais cette image traditionnelle occulte le rôle croissant des villes qui subordonnent de plus en plus un espace rural; celui-ci connaît l’exode et ne devient qu’un arrière-pays des agglomérations. Et, dans l’Alberta principalement, ce monde, qui ne compte d’ailleurs pas que des plaines, est aussi celui du pétrole, découvert voici maintenant plus de cinquante ans à Leduc. Toutefois, le pétrole albertain a surtout profité au développement du véritable cœur de tout le Canada, c’est-à-dire à l’axe laurentien.

Les bas-pays des Grands Lacs et du Saint-Laurent sont un espace bien réduit en superficie, à l’échelle du pays, mais qui rassemble un peu plus de la moitié de la population nationale et d’où proviennent les trois quarts du produit intérieur brut. C’est véritablement le heartland du Canada. Tout concourt à en faire un ensemble de régions riches: les sols favorables, le climat supportable, la topographie facile, les fortes densités humaines, les grandes agglomérations et l’industrie. Et le tout en bordure de la voie de pénétration royale qu’est le SaintLaurent, avec son double débouché sur la mer intérieure des Grands Lacs et sur l’Atlantique.

L’escarpement qui limite au sud le bouclier canadien détermine nettement la vallée du Saint-Laurent, et les contreforts appalachiens font apparaître un autre ensemble au sud du fleuve, conférant à l’axe Sud-Ouest - Nord-Est un aspect évident de grand corridor.

Cet espace agricole et industriel n’est pas uniforme et, là plus qu’ailleurs, se lit l’influence des deux grandes métropoles rivales, Montréal et Toronto, comme se remarque partout la dualité entre l’Ontario anglophone et le Québec francophone. L’existence de régions urbaines et de secteurs franchement agricoles apporte un élément supplémentaire de diversité, alors que les rivages lacustres et la vallée même du Saint-Laurent introduisent une différence nette. Aux deux extrémités de cette main street canadienne, deux villes de moyenne importance ressemblent à des sentinelles: Windsor, face à Detroit et à un des espaces les plus prospères des États-Unis, et la ville de Québec qui, du haut de son promontoire fortifié, est tout à fait dirigée vers le monde de l’Atlantique, dont elle est en quelque sorte la porte d’accès obligée.

Restent, enfin, les régions orientales, celles qui regardent vers l’Europe et qui furent les premières colonisées. Cette façade atlantique du Canada, à laquelle il faut ajouter le pourtour du golfe du Saint-Laurent, est appelée par les anglophones the bypassed East : c’est ce que les Canadiens dénomment «les Maritimes». En vérité, c’est un espace qui s’accommode assez mal du découpage administratif, dans la mesure où l’on y ajoute la Gaspésie. On exclut le Labrador parce qu’il fait partie intégrante du bouclier tout en ayant un littoral atlantique et tout en appartenant à la province de Terre-Neuve; on ajoute la péninsule de Gaspé, qui est québécoise parce qu’entre l’embouchure du Saint-Laurent et la baie des Chaleurs l’avancée vers l’est qu’elle représente s’inscrit parfaitement par sa position et ses activités dans ce contexte géographique fortement imprégné par la présence de l’océan. Cet ensemble, regroupant tout ou partie de cinq provinces (Terre-Neuve, île du Prince-Édouard, Nouvelle-Écosse, Nouveau-Brunswick et Québec), ce qui est unique au Canada, est à la fois continental et insulaire, et apparaît constitué de pièces et de morceaux sans qu’une unité se dégage de prime abord. Pourtant, cette unité se manifeste par le climat et par les paysages. Le premier est franchement océanique mais avec des caractères spécifiques de façade orientale d’un continent; les seconds rappellent que nous sommes ici dans la terminaison septentrionale du système appalachien. L’unité vient aussi du fait que nous sommes là dans le seul ensemble géographique du Canada affecté par une convergence de facteurs économiques négatifs: revenus moyens moins élevés, chômage plus répandu et dépendance sans cesse croissante à l’égard des finances fédérales font de cet Est atlantique un espace ancien et en crise.

3. Économie

Le Canada fait partie du G7, qui réunit les principaux pays industrialisés. Son économie a connu une croissance rapide au cours des dernières décennies; ses résultats permettent un niveau de vie comparable à celui de la France. L’économie canadienne apparaît, d’une manière générale, très largement ouverte aux échanges avec l’extérieur, ceux-ci faisant une place importante aux matières premières de base tirées des ressources naturelles, mais aussi, en particulier, fortement dépendante de l’économie américaine. Les activités de services fournissent les deux tiers de la valeur de la production. Malgré un équilibre énergétique favorable, les problèmes d’emploi restent importants. L’immensité du pays et la forte croissance de la main-d’œuvre rendent difficile l’équilibre du marché du travail. La diversité des conditions qui prévalent selon les régions laisse subsister des disparités régionales marquées.

Données générales

En termes de P.I.B., l’économie canadienne est la septième de l’O.C.D.E., avec un peu plus de 3 p. 100 du total. Elle représente à peu près un dixième de l’économie américaine, la moitié de l’économie française, autant que la somme des économies néerlandaise, belge et norvégienne ou encore le triple de l’économie mexicaine, sa partenaire au sein du récent accord de libre-échange nord-américain.

En 1989, le P.N.B. canadien atteignait environ 590 milliards de dollars canadiens, soit un doublement par rapport au résultat de 1980 et une multiplication par sept par rapport à celui de 1970. Compte tenu d’une inflation forte dans les années du deuxième choc pétrolier (1979-1982), la croissance en termes réels de l’économie canadienne a exprimé une tendance soutenue: sur la période 1960-1990, le P.I.B. réel s’est accru en moyenne annuelle de 4,2 p. 100, contre 3,6 p. 100 pour l’ensemble des pays de l’O.C.D.E. et 3,2 p. 100 pour les États-Unis. Au cours de la dernière décennie (de 1980 à 1989), le P.N.B. réel et la population ont gagné en moyenne annuelle, respectivement, 3,6 et 1,0 p. 100, portant à 2,6 p. 100 l’an (France 1,6 p. 100, États-Unis 2,2 p. 100) l’amélioration du P.N.B. réel par habitant. À quelque 19 000 dollars américains courants, ce dernier indicateur plaçait en 1989 le Canada au douzième rang mondial, derrière l’Allemagne de l’Ouest et le Danemark, devant les Émirats arabes unis et la France (tabl. 4).

Une économie ouverte

Le commerce extérieur joue un rôle extrêmement important dans l’économie canadienne, les exportations représentant plus du quart du P.I.B. réel: ce qui place le Canada parmi les pays développés étroitement dépendants des échanges internationaux, loin cependant derrière la Belgique, les Pays-Bas et la Suisse.

La structure du commerce extérieur du Canada peut paraître paradoxale, étant donné le haut niveau de vie dont jouissent les Canadiens: le Canada exporte en effet traditionnellement beaucoup de matières premières minérales et énergétiques, beaucoup de produits agricoles et alimentaires, et importe des équipements et de l’outillage en grande quantité. Cette structure résulte, d’une part, de la grande abondance des ressources naturelles disponibles et, d’autre part, du faible niveau de peuplement. Ce qui a favorisé une politique de développement fondée sur la vente des matières premières. À ce titre, le Canada se place au premier rang des pays industrialisés. On remarque aussi la place considérable occupée dans ces échanges extérieurs par les véhicules automobiles. Ce résultat est dû à une entente (pacte de l’automobile) entre le Canada et les États-Unis, qui, depuis 1965, a eu pour effet de créer une zone de libre-échange dans ce secteur. D’une manière générale, le commerce extérieur dépend pour les deux tiers des États-Unis. L’évolution de la conjoncture dans ce dernier pays commande directement celle de l’économie canadienne, malgré le maintien par celle-ci de liens commerciaux avec la Communauté européenne et le développement de ses exportations en direction de la zone Pacifique (Japon, Chine, Australie).

L’équilibre de ce commerce extérieur, tel que le révèle la balance des paiements, s’effectue dans des conditions à peu près constantes. La balance commerciale est régulièrement excédentaire, en dépit des cours déprimés des matières premières. En revanche, le compte courant est toujours déficitaire et cela pour deux raisons: les dépenses de tourisme et le paiement des intérêts et des dividendes sur les capitaux étrangers.

La plus grande part de l’industrie et de l’agriculture appartiennent à des intérêts privés. L’engagement économique des pouvoirs publics est important dans le développement des ressources naturelles, mais surtout à l’échelon provincial. Il faut souligner comme un trait caractéristique de l’économie canadienne le degré très élevé de dépendance qu’elle entretient à l’égard des États-Unis. Ceux-ci contrôlent à hauteur d’environ 30 p. 100 la production de biens manufacturés. En fait, comme détenteur direct d’actifs canadiens, comme marché d’exportation (69 p. 100 en 1988!), comme marché de capitaux enfin, les États-Unis tiennent sous leur influence la quasi-totalité des grandes activités canadiennes, secteur public et agriculture exceptés.

Une structure de production particulière

L’importance des matières premières dans la composition des exportations du Canada pourrait laisser croire que les activités primaires dominent dans l’ensemble de la production. En réalité, les activités tertiaires représentent les deux tiers des activités en termes de valeur de la production et les trois quarts en termes d’emploi, administration incluse. L’agriculture ne fournit que 2,2 p. 100 de la production et ne crée que 3,1 p. 100 des emplois. Les matières premières de base ont donc dans les exportations canadiennes une importance très nettement supérieure à la place qu’elles occupent dans la production et l’emploi. Cette constatation ne doit cependant pas faire oublier le fait que plusieurs des industries manufacturières reposent aussi sur les grandes matières premières qu’elles transforment avant de les expédier à l’étranger.

Par la structure de sa production, l’économie canadienne présente donc une image assez particulière. Son énorme secteur tertiaire la classe dans les économies les plus évoluées, mais l’importance des activités primaires ou dérivées de l’exploitation des ressources naturelles rappelle certains traits des économies les moins avancées. Ces industries de base donnent cependant lieu à une forte productivité puisque le résultat obtenu en termes de contribution à la production (3,9 p. 100) triple la part prise dans l’emploi (1,3 p. 100).

Le difficile équilibre du marché du travail

Des sept principaux pays de l’O.C.D.E., c’est le Canada qui, avec l’Italie, connaît les taux de chômage les plus élevés. En 1991, le sousemploi touchait, en moyenne, 10,3 p. 100 de la population active. Un taux de chômage élevé fait partie de l’expérience canadienne depuis longtemps. De 1960 à 1990, il s’établit, en moyenne annuelle, à 6,9 p. 100, loin devant la moyenne des autres pays de l’O.C.D.E. Ce résultat s’explique par plusieurs circonstances particulières à l’économie canadienne. D’abord, l’immensité du pays (5 500 km d’est en ouest, et presque autant de l’extrême nord à l’extrême sud) limite la mobilité de la main-d’œuvre dans certaines régions alors que d’autres souffrent d’un manque chronique d’emplois. Ensuite, à cause du rude climat d’hiver, la variation saisonnière de l’emploi est très importante, ce qui se traduit par une oscillation saisonnière encore plus ample du taux de chômage qui, à conjoncture comparable, varie du simple au double entre le mois d’août et le mois de février. Enfin, l’offre de travail (main-d’œuvre) a augmenté à un rythme extrêmement rapide depuis la Seconde Guerre mondiale. De 1970 à 1975, par exemple, la population active s’accroissait au rythme annuel de 3,3 p. 100 pour atteindre un sommet en 1978 avec 3,7 p. 100. Depuis le début des années quatre-vingt, la part de la population active dans la population totale reste stable, l’extinction des effets de l’explosion démographique d’après guerre étant compensée par la hausse de la part de la population active féminine dans la population active totale (près de 45 p. 100, soit un chiffre comparable à celui des États-Unis, proche de ceux que présentent les pays scandinaves). En pourcentage de la population totale, cette dernière est l’une des plus importantes des pays de l’O.C.D.E.: 51,7 p. 100 en 1990 (France: 43,4 p. 100).
Frappée par la récession en 1990, l’économie canadienne a souffert de la faiblesse de la demande sur ses marchés d’exportation et des cours déprimés des matières premières qui pèsent sur la qualité des termes de l’échange du pays et mettent en situation délicate certaines exploitations minières à coûts de production élevés. Déjà lié aux États-Unis par un accord en vigueur depuis 1989, le Canada ne pouvait rester en dehors de l’accord de libre-échange négocié en 1992 entre ce pays et le Mexique. Le Canada en attend une consolidation de ses liens économiques et financiers avec l’économie américaine et des opportunités de pénétration du marché mexicain. Toutefois, l’existence de clauses suspendant la disparition (à terme) des droits de douane à l’observance d’un niveau élevé de «contenu nord-américain» dans les produits des industries automobile et textile pourrait handicaper des provinces comme l’Ontario et le Québec.

Encyclopédie Universelle. 2012.

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